Extrait du journal " La Montagne "
du 30 Octobre 1955 ( fourni par Philippe Tran )
Cet
enfant se régale avec un verre de thé, tandis qu'il tient précieusement,
dans sa main gauche, un bon sandwich
EN
ROUTE POUR LES CORONS
Après ce réconfort substantiel, les 2 cars ont transporté
les 92 français Indochinois. Il était minuit lorsque le convoi
stoppa dans les corons. Là aussi, la population fait preuve d'un magnifique
esprit d'entraide. Dans les logements, on avait allumé les feux, préparé
les lits. On s'inquiétait des besoins de chacun. Les Noyantais transportaient
les bagages qui n'étaient pas bien lourds, moins de 20 kilos par famille,
c'est à dire de la pauvreté de tous ces malheureux qui ont laissé leurs biens, leurs morts aussi. Quel injuste sort !
PUIS
L'AUBE S'EST LEVE !
On n'a pas très bien dormi dans les corons. Puis l'aube s'est levé
sur Noyant d'Allier. Le soleil radieux, le ciel d'un beau bleu azur rendaient
encore plus jolie encore la campagne vallonée. L'automne était
magnifiquement éclairée. C'était un spectacle de la nature
tout nouveau pour les Indochinois Français, hésitant à faire leurs premiers pas dans la commune.
On les regardait ! Ils n'osaient pas ! ... Puis les voisins commençaient
à sympathiser. L'un d'eux a prêté des outils aratoires
à une maman indochinoise, mère de 7 enfants. Elle a commencé
à nettoyer le lopin de terre devant sa nouvelle demeure. Un autre voisin
a donné des conseils pour allumer le petit poêle de la cuisine.
L'intérieur des corons est propre. Avant l'arrivée des nouveaux
locataires, des réparations ont été effectuées.
On y a mis des meubles, modestes mais neufs. Le confort ne sera pas médiocre.
FORTUNES
ET BIENS PERDUS
Parmi les exilés, nous remarquions des têtes bien françaises.
C'est vers elles que nous nous dirigeons.
- Pourquoi êtes vous partis, demandons-nous à l'un d'eux ?
- On ne voulait pas nous garder. Le gouvernement vietnamien ne veut plus voir
de Français.
C'est un ancien membre de l'Assemblée territoriale du Sud Vietnam,
un fonctionnaire, m. André Champeval, âgé de 61 ans, qui
nous parle ainsi.
- J'ai tout perdu depuis 1917, j'avais acquis une belle situation, des biens
dont 7 hectares de terre. Je n'ai plus rien, même pas une retraite.
" J'étais aussi chef de musique de la police préfectorale
de Saigon. Sur le bateau italien, le "Fersy", qui nous ramena à
Marseille, j'ai joué très souvent du hautbois.
" Oui, j'ai tout perdu. Comment à mon âge, vais-je pouvoir
vivre ?
" Je suis originaire de la Nièvre, Clamecy. Ma douleur la plus
grande est celle d'avoir laissé un de mes fils à Saigon. L'autre
est à Marseille où il pourra retrouver une situation. Il est
inspecteur de la Sûreté."
Un autre Français, un Breton, M.Alfred Troplouet, âgé
de 41 ans, était en Indochine depuis 1937.
" A force de travail, j'avais acquis un hôtel, l'hôtel de
la Paix à Nam Dinh. Aujourd'hui, il est la propriété
des Viets. J'ai été évacué avant la signature
du " Cessez le feu " à Genève.
M.
André Champeval, originaire de la Nièvre, ancien membre de l'Assemblée
territoriale du Sud Vietnam, ancien chef de la musique de la police préfectorale
de Saigon, a tout perdu
"
Ma femme est avec moi. Maintenant, il faut que je cherche du travail, n'importe
quoi pour nourrir mon épouse. Je suis vulcanisateur de métier,
si vous connaissez quelque chose ...
" Moi aussi, j'ai tout perdu : mon hôtel, ma fortune. "
Des larmes coulent des yeux du Breton.
" Tout perdu. J'ai été autorisé à partir
avec 20 kilos de bagages, une couverture et un peu de vivres."
" A Marseille, les Médaillés militaires m'ont donné
3000 francs. J'ai pu aujourd'hui, acheter à manger, mais demain ...
ET MAINTENANT
Oui maintenant ... Le ministère de la France d'Outre-Mer a détaché
un fonctionnaire pour s'occuper du centre d'accueil de Noyant. Depuis déjà
plusieurs jours. Le service social est en place, dans l'ancien bâtiment
de la direction des Houillères, à Noyant.
" Je ne veux pas vous parler d'autres chose que du rôle social
qui nous appartient, nous déclare M. Perret , responsable du centre
d'accueil.
" Moi même, j'ai été très touché de
la réception de Moulins. Elle a dépassé mes prévisions.
A Noyant aussi, on m'a beaucoup aidé pour recevoir les ressortissants
français d'Indochine. Sans rien demander, les Noyantaises sont venues
préparer les corons.
Et
maintenant M. Perret ?
- Il va falloir reclasser tout le monde. Pour les jeunes, ce sera assez facile.
Pour d'autres, nous arriverons peut-être à trouver du travail.
Mais les femmes dont le mari est mort ou absent, pour celles qui tenaient
des petites commerces, des boutiques, des buvettes tout près des casernes
des soldats français, c'est le gouvernement qui les aidera à
vivre.
- D'autres familles viendront-elles en Bourbonnais ?
- Oui, lorsque les serons en état de les recevoir. Quelques familles
seront installé à Saint Hilaire mais il subsiste une difficulté
actuellement, celle de trouver de la place dans les écoles de cette
commune. A Noyant, le problème est résolue. "
Tout
n'est donc pas encore réglé. Il faudra beaucoup de patience
de la part des familles dont certaines sont sans argent. Elle vivront sur
la communauté, de la charte publique.
Mais l'essentiel, n'est-ce pas qu'elles vivent ?
Sur la terre du Bourbonnais, espérons qu'elles retrouveront le bonheur
perdu et la joie de vivre au contact de la population laborieuse de la cité
noyantaise.
Les
familles, installées à l'intérieur de salle d'attente,
attendent avant de prendre la route des corons
Une
dame de la Croix-Rouge, Mme Despérier, prend dans ses bras un enfant
indochinois
Chassés
de leur pays, les ressortissants français d'Indochine ont trouvé
à Moulins un accueil réconfortant
UN ACCUEIL RECONFORTANT
Quel poignant spectacle, dramatique aussi, que celui offert, vendredi soir
, à 23 heures, aux rares Moulinois et voyageurs stationnant en gare
de Moulins
Quelle tristesse que celle qui s'est emparée de chacun lorsque le
wagon, détaché du Lyon-Nantes, s'immobilisa au quai n°1,
face à la salle d'attente !
C'est l'exode des ressortissants français d'Indochine qui commence.
Oui, l'exode ! Comme ce que nous avons connu, chez nous, il y a 15 ans.
Vous vous souvenez, juin 1940 !
Chassés de leur pays par les lois de la guerre, les premières
familles indochinoises débarquées voici quelques semaines
à Marseille, arrivaient en Bourbonnais, avec comme asile les corons
abandonnés de Noyant d'Allier.
Pourquoi, en ce moment, tenter d'approfondir la raison des événements
?
La vérité est là, devant nos yeux : Les français
d'Indochine viennent se réfugier dans le sein de la mère patrie.
Notre rôle est donc de les bien accueillir.
M.
Maurice Tinland, maire de Moulins, offre un verre de thé à
un souriant petit Indochinois
UN
BEL EXEMPLE DE SOLIDARITE
Il fallait voir avec quel empressement les membres de la Croix-Rouge du
comité de Moulins, aidés des élèves infirmières,
des dames bénévoles, des scouts, manifestaient leur sollicitude
à l'égard des Indochinois.
On portait les bagages, on saississait dans les bras les bébés
en pleurs : on distribuait enfin des victuailles, sandwichs, bananes, lait,
thé et friandises.
Non seulement on réchauffe leur corps, mais aussi leur coeur.
- Nous n'oublierons pas cet accueil, s'exclama une jeune Indochinoise, le
lendemain, lors de notre visite dans les corons.
Mr Maurice Tinland, Maire de Moulins, était aussi présent
à la gare. Mr Mosser, chef de cabinet de M. le Préfet de l'Allier,
était venu également s'inquiéter des préparatifs.
Il ne put rester en raison de circonstances fortuites : on était
sans nouvelles d'un avion américain.
On notait aussi la présence du général Lacl..., président
départemental de la Croix-Rouge; Mr Menin, président du comité
de Moulins; Mme Monceau; Mr le docteur Lougnon, etc ... Il y avait plus
de 100 personnes pour recevoir les 22 familles exilées.