IMPRESSIONS D' AUVERS

 Vous souvenez vous de la journée du 26 juin 2004 à Auvers sur Oise ?
Auvers sur Oise, c' était, à une petite échelle, notre "Woodstock" à nous.
Quelque chose de presque improvisé mais irrésistible, comme Woodstock l' était.

Au départ, nous pensions la faire  entre anciens des corons , mais très vite nous avions étendu le cercle à tout Noyant.
Notre objectif n' était pas d' organiser une fête  insurpassable, mais simplement de faire une rencontre sympathique.

Nous nous sommes retrouvés si nombreux !
Les derniers jours, Jean Jacques Strobbe, qui avait battu le rappel, lançait le cri d' alerte : " Attention, nous serons deux cent cinquante !", mais Jean Jacques Pacaud, Jean Massini et Mit Mougammadou, sûrs de leur logistique, restaient sereins.

Nous avions recréé, ce jour là, une part de notre enfance ; Auvers était devenu
comme un immense terrain de jeu, où chacun reconnaissait qui un ami, qui un ancien voisin.
Philippe TRAN, plébiscité pour  prononcer le mot de l' amitié n' a pas pu surmonter son émotion. Il a préféré se taire pour laisser parler les coeurs.
L' essentiel était au-delà des mots !

Nous étions tous dans une joie spontanée, et dépassés par les événements.
Seulement plusieurs années après, je me hasarde à faire les commentaires suivants.

Noyant, pendant longtemps, n' était, pour les Rapatriés d' Indochine, qu' un lieu de transit.
Qui aurait pensé que Noyant deviendrait notre village d' enracinement ?
Qui aurait pensé que nous deviendrions une communauté soudée ?
Dans les corons de Noyant pendant longtemps, nous  étions une société faite de bric et de broc, du moins est ce mon avis. Il y avait de l' entraide, mais chaque famille vivait en vase clos.
Notre point commun était l' Indochine, mais nous étions une société si bigarrée avec des  vécus, des sensibilités, des convictions tellement variées.
Combien d' entre nous, légitimement, ne rêvaient que de s' échapper du village , pour se construire son image, son avenir !

'Rapatriés d' Indochine', qu' est ce que cela voulait dire ?
" Sommes nous Français ou Indochinois ?
Notre confusion augmentait quand, dans la même famille, les plus âgés des enfants se disaient "vietnamiens", et les plus jeunes "français".
Et que dire quand notre père est d' origine Antillaise, ou Allemande, ou Portugaise, Africaine du Nord, Africaine du Centre, Malgache, Réunionnaise, Indienne, Chinoise ?
Quelle est notre histoire ? Quelles sont nos origines ? Quelle est notre
identité ? "
Nous ne pouvions pas répondre.

La colonisation, la participation de nos pères comme membres ou supplétifs de l' armée française, notre appartenance à deux civilisations en guerre, la grande variété de nos origines biologiques , religieuses et culturelles, c' étaient autant de sujets sans réponse. Et puis le rapatriement, ce voyage sans but qui avait tout l' air d' un exil, et les années de précarité qui ont suivi, tout cela semblait  si lourd, accablant et complexe, que nous ne savions plus... qui nous étions !
C' est pour cela peut-être, que dans notre histoire commune de Rapatriés d' Indochine, au fond de nous-mêmes,  chacun avait eu du mal à assumer son histoire, mais aussi son Noyant, ses corons, sa mine.
Pour nous, les corons de l' époque étaient un bidonville, un chose à cacher.
Comme pour nous protéger, nous avons dû refouler, tout cela  dans notre inconscient, comme un sombre problème métaphysique au mieux, comme des souvenirs honteux au pire. Pendant des années !

Mais voilà qu' au milieu de cette journée radieuse de juin, à Auvers, parmi cet océan de visages familiers, tout devenait simple ! Les ambiguîtés étaient transcendées, les divergences effacées !
Par le bonheur d' être ensemble,  si nombreux et si chaleureux, par la conscience d' avoir surmonté toutes ces épreuves, nous nous sentions héroïques de notre parcours, fiers de ce que nous sommes, frères et soeurs d' une grande famille.
L' amnésie et les complexes du passé étaient remplacés par la force de vivre, par la foi en l' avenir.
Oui, nous étions fiers de nos origines, de nos métissages,  de notre diversité.
Nous avions un point commun tangible et emblématique : Noyant !
Noyant, le jardin de notre enfance, le berceau de nos rêves de jeunesse.
"Notre terroir, c' est Noyant !"
" Nous sommes les premiers citoyens du monde, et notre village, c' est Noyant !"

Quelques  amis Noyantais d' origine  Polonaise et d' origine Bourbonnaise (les Noyantais de souche), avaient fait le déplacement à Auvers. Ils avaient tenu à participer à notre "Woodstock".
Eux aussi , par l' immigration économique sans aucune aide d' Etat, et  par la crise agricole profonde qui a touché l' Allier depuis cinquante ans, ont connu leur lot de sorts contraires.

Entre Bourbonnais, Polonais, et Rapatriés de toutes les origines, nos épreuves étaient devenues notre conscience commune, nos différences des points d' attrait , nos métissages un sujet de richesse !
Oui, nous sentions si fiers de nous, de notre diversité et de notre Noyant !

Edouard BRASSECASSE


Et les photos d'Auvers